pelloche

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samedi 26 mars 2016

La solitude de l'assassin



Pour vous parler un peu de ma petite cuisine de blog, très souvent, lorsque je débute une chronique, j'ai tendance à savoir à peu près sous quel angle je vais vous parler d'un film, quel ton je vais adopter, si je vais plus être dans l'analyse ou dans le ressenti, si j'arrive à trouver une métaphore filée foutraque (oui, ça m'amuse toujours beaucoup de comparer Mommy à du heavy metal, Zoolander 2 à une réunion d'ancien élèves ou le cinéma de Wong Kar Wai à mon premier amour). Mais il est des moments où un film me touche si profondément, me laisse tellement sans voix et sans structure, que je ne sais pas par quel bout le prendre. Je ne parviens pas à avoir assez de recul pour en faire un p'tit truc bien tourné, et je me retrouve les bras ballant devant l'œuvre qui échappe à une réduction textuelle.

The Assassin, de Hou Hsiao Hsien est clairement de ceux-là. Je suis sortie de la séance sonnée et abasourdie, la tête pleine d'idées, de réflexions, et surtout d'images, et avec l'envie de le revoir dans quelques temps pour mettre de l'ordre dans tout ça. Il ne faudra donc pas que vous soyez étonnés de me voir partir ici un peu dans tout les sens, d'abord parce que pour moi, tout n'est pas encore très clair, ni dans le scénario (va falloir que je me renseigne sur la période évoquée et sur les liens familiaux entre les personnages qui m'ont un peu perdue), ni dans les raisons pour lesquels ce film m'a si justement atteinte. Alors je vais me lancer en free style, et on verra bien ce que ça va donner, mais sachez qu'il n'y aura qu'ici qu'une ébauche d'analyse, parce que je pense que je vais avoir besoin de plusieurs visions pour bien appréhender ce film. Et après tout, ça ne me dérange pas du tout. J'ai eu la même impression la première fois que j'ai lu les Illuminations de Rimbaud ou que j'ai vu Ghost in the Shell: "Je ne comprends pas tout, il y a même un tas de choses qui m'échappent, mais une chose est sûre: il y a quelque chose là-dedans qui m'attire inextricablement, et j'ai envie d'aller plus loin sur cette œuvre." Pour Ghost in the shell, dès la première vision, je savais qu'il allait tout simplement être un de mes films préférés, et après facilement une vingtaine de visionnages, je parviens enfin à comprendre le scénario, mais il me reste beaucoup de chemin à parcourir pour comprendre tout ce qu'il implique et ça ne me dérange pas de le revoir régulièrement parce qu'à chaque fois, j'y trouve quelque chose de nouveau. les Illuminations, j'en parle même pas, je crois qu'il me faudra plusieurs vies pour aller au-delà du mystère de la beauté de ces vers. Je sais bien que j'ai dis juste dans mon post précédent que j'avais du mal avec les œuvre ésotériques et que je n'avais rien de spirituel. Mais pour moi, il y a là autre chose: je parle ici d'œuvres que je considère comme très construites, d'une logique implacable, mais que mon petit cerveau peut mettre un peu (beaucoup) de temps à appréhender. Je ne parle pas ici de mysticisme, même si la beauté plastique de ces œuvres peuvent y confiner, mais bien d'attirance pour des sujets ou des approches que je ne maîtrise en rien, mais que cette beauté me donne envie de comprendre. Et je pense que The Assassin va être pour moi de cette trempe, et qu'il risque donc bien de se placer dès que le DVD sera sorti, parmi mes films de chevet.



Je vais essayer au mieux de vous raconter le pitch, mais j'avoue que j'ai dû faire quelques recherches sur le plan historique, parce que très peu est donné dans le film. Nous sommes donc au VIIIème siècle en Chine, sous le règne de la dynastie Tang. Pour vous donner une idée, c'est l'époque où, en France, on passait des Mérovingiens aux Capétiens (ce qui n'est déjà pas une époque que je connais hyper bien chez nous, je vous laisse donc imaginer l'étendue de mon inculture dès que ça touche à d'autres pays). Notre histoire se passe dans la puissante province de Weibo, dirigé par le jeune Tian Ji-an et son épouse, Lady Tian. Weibo a des rapports compliqués avec l'Empire, oscillant entre volonté d'indépendance et soumission pacifique. Tian Ji-an, avec l'arrogance de sa jeunesse, semble prêt à se diriger vers la voix de l'indépendance, quitte à se mettre l'Empire à dos. Notre héroïne, c'est Nie Yinniang. C'est la cousine de Tian Ji-an. Elle devait lui être promise, mais on lui a préféré la puissante Lady Tian. La famille de Yinniang, voulant la protéger et avoir une chance de consolider la paix entre Weibo et l'empire, l'ont envoyé en apprentissage chez une nonne experte en kung-fu, qui lui a donné une mission: tuer son cousin chéri avant qu'il n'ouvre le conflit avec l'Empire. Yinniang est devenu un assassin presque parfait, un seul élément lui fait défaut: sa compassion.

Donc autant vous prévenir avant que vous me maudissiez pour vous envoyer voir ce film. Il ne se donne pas à n'importe qui comme la première victime d'un film d'horreur au scénario pas très original. Non, le film mérite pas mal d'effort de la part du spectateur, donc si vous êtes fatigué, et que vous avez envie de voir un film de kung-fu avec plein de coups de tatanes de vols planés et un scénario pas trop complexe, je vous conseillerais plutôt de faire chauffer du pop-corn et de (re)voir La mariée aux cheveux blancs de Ronny Yu ou n'importe quel film de Tsui Hark (Green Snake, par exemple). Parce que là, on est face à un film qui demande à son spectateur de l'engagement et de la concentration, et ce pour plusieurs raisons.

1. Comprendre l'histoire
Il est vrai qu'il n'est pas évident, en tous cas à la première vision, de tout à fait comprendre l'histoire du film, surtout pour nous, spectateurs non-chinois. Mais je pense que c'est le cas de plus en plus de films chinois. La raison en est très simple: depuis quelques années, les Chinois ont compris qu'ils avaient le premier marché du monde en terme de spectateurs. Il me semble donc bien normal que le cinéma chinois fasse avant tout des films pour des Chinois, soit des gens qui vont avoir le bagage culturel et historique pour savoir à quels époques et événements les films se réfèrent. Avec nos yeux ethnocentrés, notre première réaction est de se dire que c'est quand même pas bien cool pour nous. Mais pour voir, j'aimerais bien qu'on se demande si Chouans, Que la fête commence ou La reine Margot ont été bien faits pour un public international (encore qu'il me semble certain que les Chinois en savent sûrement un peu plus sur notre histoire que nous sur la leur). Donc oui, ça demande un certain effort de comprendre l'histoire sans connaître l'Histoire, et il faut accepter, si nous n'avons pas le bagage culturel nécessaire (ce qui est mon cas), ou de se retrouver parfois un peu perdu, ou d'essayer d'acquérir un peu de ce bagage, ou, comme je l'ai fait, de profiter des interrogations qu'on suscitées ce film pour se renseigner un peu sur cette période ma foi assez fascinante.
Petite aide pas négligeable pour ceux qui, comme moi, ont été un peu perdus dans les rapports généalogiques entre les personnages
Et puis il faut dire que Hou Hsiao Hsien ne cherche pas à nous prendre la main pour nous raconter son histoire. C'est un réalisateur exigeant, qui requiert toute notre attention et fait confiance à son spectateur pour faire sa part de travail. Ceux qui connaissent déjà ses films savent qu'au niveau de la narration, HHH travaille dans l'épure: peu de dialogues, peu d'explication, il laisse l'image faire l'essentiel du travail et coupe tout ce qui ne lui semble pas nécessaire. Alors d'un côté, ça n'est pas reposant, mais de l'autre, ça fait quand même plaisir de voir qu'un réalisateur a assez confiance en nous pour ne pas nous mâcher tout le boulot et nous laisser faire notre propre bout de chemin à travers son film.

2. Un rythme très lent
Comme je le disais précédemment, si on veut voir un festival de coups de tatanes et des blagues qui fusent, ce n'est certainement pas le film à choisir. Hou Hsiao Hsien a choisi d'adopter un rythme très lent, souligné par des dialogues assez peu nombreux et la présence très forte de la nature. Ce n'est pas tout à fait évident d'y rentrer, mais une fois que c'est le cas, on se rend compte que c'est le rythme idéal pour un tel film.
D'abord parce qu'il permet de rentrer de plein pied dans une époque et un milieu. On est ici dans une noblesse d'assez haute volée, où les complots se murmurent derrière les tentures, où la moindre parole doit être longuement pesée avant d'être prononcée (le sort réservé aux conseillers qui franchissent la limite très fine de l'indicible est édifiant). On est aussi à une époque où le temps se prend, pour faire du feu, pour voyager, pour prendre une décision. Ce rythme permet de lâcher prise avec notre temps (et on se rend compte que ce n'est pas si facile que ça), et se laisser transporter vraiment ailleurs.
Et puis il y a cette omniprésence de la nature, celle qui est là, immuable, parfois bruyante, insensible aux atermoiements humains, au successions de dynasties, à l'amour et à la mort. Elle fait tout relativiser: les batailles des puissants, la politique, les histoires de famille, les individus, nous rappelant qu'elle est bien au-dessus de tout ça.



Une fois ces deux éléments acceptés, on est largement récompensé par un film tout simplement somptueux de bout en bout. Je crois que j'ai passé une séance complète sous hypnose, la bouche béante du début à la fin. Tout ce que l'on voit, tout ce que l'on entend est incroyablement beau.

D'abord, il y a une photographie absolument sublime de Ping Bin Lee, à qui l'on doit rien moins que celle d'In the Mood for love. Dans un splendide 35 mm un peu granuleux, il sait mettre en valeur des paysages d'une splendeur incroyable, des décors et des costumes précieux et d'une minutie formidables (l'etoffe peinte que reçoit Yinniang m'a fait baver d'envie). Hou Hsiao Hsien joue l'accord parfait avec Ping Bin Lee, choisissant des effets de cadres dans le cadre, de gaze passant devant la caméra, de lumières intérieures (à la torche)/extérieures, confinant les personnages dans une intimité presque étouffante lorsqu'ils sont en intérieur, et ouvrant l'espace dès qu'ils sont confrontés à de majestueux paysages.



Et puis, je ne vais pas me passer du plaisir de vous parler des scènes de combat qui sont simplement à tomber. Ici, pas de musique. On garde simplement les sons naturels diégétiques et on sublime les sons qui accompagnent les mouvements et les coups. Le résultat est époustouflant: un ballet quasi silencieux, où l'attente et la tension sont soudainement rompus par le coup porté, d'une vivacité et d'une fulgurance incroyable, qui atteint rapidement sa cible.



Et y'a Shu Qi. Shu Qi, qui est l'illustration même que la génétique est une grognasse. A 39 ans, elle est tout à fait crédible en fille d'une vingtaine d'années. Mais pire, elle encore plus belle que lorsqu'elle avait une vingtaine d'années et qu'elle était déjà la muse de Hou Hsiao Hsien (Millenium Mambo). Elle est l'interprète idéale de ce personnage magnifique, ce mélange de froide machine à tuer, de profonde solitude, qui porte sur ses épaules pas frêles du tout l'honneur d'une famille, la paix d'une contrée, qui malgré ce qu'on attend d'elle, continue de juger de ce qu'elle doit et peut faire, et quand il est judicieux de le faire, en son âme et conscience. Elle est cette sévère incarnation de la justice, qui ne demande qu'à être un simple être humain. Et Shu Qi, passée de la jolie fille douce et adorable de ses jeunes années à cette femme d'un aplomb, d'une classe indéniable, parvient très subtilement à nous faire passer le conflit intérieur de ce personnage. Pourtant, elle ne doit pas avoir plus de 5 lignes de dialogue durant tout le film, et elle semble pratiquement impassible. Et bon sang, elle atteint la prestation de Charles Bronson dans Il était une fois dans l'Ouest. Le kung-fu, la compassion et la beauté en plus.



Voilà, désolée, tout cela était un peu fouillis, mais finalement, je crois que j'ai réussi à dire ce que je voulais en dire. Mais je garde ce post ouvert à des modifications par la suite, parce que je suis certaine que de prochaines visions du film me donneront certainement du nouveau grain à moudre.





mardi 22 mars 2016

Jorodowsky's Dune: bienvenue à Egoland



Alors voilà, aujourd'hui, on va parler d'un documentaire assez formidable sur un film légendaire pour plusieurs raisons, Dune, adaptation filmique du chef d'œuvre de Frank Herbert. D'abord, c'est un film d'Alejandro Jodorowsky, réalisateur culte, notamment du premier midnight movie tout aussi culte, El Topo. Ensuite, pour son casting de rêve: Moebius, HR Giger (le papa de la créature d'Alien au niveau visuel) et Criss Foss (illustrateur britannique de couv de bouquins de science-fiction, spécialisé dans le design de magnifiques vaisseaux) pour l'aspect visuel, Dan O'Bannon pour les effets spéciaux (le papa d'Alien en tous cas du scénario), Orson Welles, David Carradine, Dali, Amanda Lear, Mick Jagger devant la caméra et Pink Floyd et Magma pour la musique. Mais surtout, ce film est une légende pour la bonne raison qu'il n'en a jamais été tournée une image.

Je sais que ce documentaire de Frank Pavitch (réalisé quand même en 2013, il a donc lui aussi dû subir quelques difficultés au niveau de la distribution, j'imagine), était très attendu des fans de Jodo, qui sont très nombreux. Et j'avoue que j'avais moi aussi très envie de le voir. Parce que moi aussi, je suis un peu fan, mais pas de Jodorowski, plutôt de la série de romans de Frank Herbert qui m'a complètement retournée à sa lecture durant mon adolescence. Un peu déçue (et qui ne l'a pas été?) de l'adaptation de Lynch, j'attendais beaucoup des informations sur ce film qu'on présentait comme "le plus grand film à n'avoir jamais existé". Il me semble important de notifier cela en préambule, parce que vous allez voir que j'ai un point de vue assez particulier sur ce documentaire que j'ai beaucoup apprécié, mais que je vois, d'après ce que j'ai pu lire jusqu'à présent, peut être différemment que d'autres personnes.



Là où je pense que mon avis pourrait différer de manière importante de beaucoup tient notamment à ma manière de considérer le cinéma, sa création et mon amour pour Dune, le roman, qui fait que j'interprète l'histoire que raconte ce documentaire d'une autre façon. Par exemple, pour moi, le film Lost in La mancha, sur un autre film mythique jamais terminé de Terry Gillian, c'était l'histoire d'un tournage maudit où une malchance foutrement tenace s'attachait à détruire complètement le film, c'était la loi de Murphy en action: tout ce qui pouvait aller mal se produisait, dans un enchaînement de circonstances aussi tristes que paradoxalement drôles. Pour moi, l'histoire de l'échec de Dune est bien différente. J'y vois ici l'illustration même des entreprises ambitieuses qui pourraient être formidables, mais qui sont dynamitées de l'intérieur par la personne-même qui les porte, pour cause d'enflement de melon proche de l'explosion. C'est ce que moi j'y vois, et je vais expliquer pourquoi, mais ce qu'il y a de bien avec ce film, c'est que son interprétation dépend vraiment de la façon qu'on aura d'approcher la vision du cinéma et celle du personnage incroyable qui est dépeint ici, Alejandro Jodorowsky.



Parce que là, en terme de personnage hyper romanesque, on a quand même du lourd. Jodo est fantasque, parfois drôle, parfois affabulateur, parfois manipulateur, passionné, fou, provocateur, parfois carrément flippant. Et sa manière de raconter son histoire en fait une folle aventure. Mais c'est un personnage très ambivalent et suivant sa propre sensibilité, on peut le voir différemment. Je comprends que certains, qui apprécient son cinéma, ait pu voir en lui un immense artiste, intransigeant sur son art, et prêt à tout pour réaliser ses rêves, une victime de l'industrie du cinéma, un exemple à suivre. Moi, perso, ce mec me fout grave les jetons, la preuve:

1. Les motivations
Jodorowsky le dit dès le départ. Son ambition, pour ce film, c'est "d'ouvrir l'esprit des jeunes gens" et de créer un film qui serait un véritable "messie" pour les jeunes générations, leur permettant de ressentir les effets de la drogue sans prise de drogue. Mouais, alors je suis peut-être un peu trop terre-à-terre ou méfiante, mais ce qui peut paraître révolutionnaire pour certains, c'est pour moi limite, voire carrément creepy pour un mec de plus de quarante balais... Les gurus, c'est vraiment pas mon truc.
Et puis, les trucs spirituels, faut savoir que c'est pas des masses ma came. C'est pour ça que si je reconnais à Jorodowsky un vrai talent de créateur d'image fortes et belles, je ne suis ni une fan de son surréalisme, et encore moins de ses délires ésotérico-poético-démurgio-psychédéliques. Je suis comme ça, pour moi rien ne vaut un scénario solide et bien écrit, j'aime qu'on me raconte des histoires que je peux comprendre sans avoir pris de substances prohibées. Attention: j'aime le foutraque, mais j'aime aussi la logique. C'est pour ça que j'aime autant des auteurs comme Herbert ou Philip K. Dick: dans le monde où leurs histoires se déroulent, elles sont profondément logiques, et délivrent un message bien loin d'être complètement perché. Bref, le truc de hippie sur le retour qui veut ouvrir le troisième œil de la nouvelle génération pour qu'elle le suive dans son délire cosmique, au mieux je trouve ça zarb, pédant et condescendant ("Allez, les petits, je vais vous apprendre la vie"), au pire je trouve ça dangereux, dégueulasse et révoltant.

2. La passion
Je comprend qu'on fasse tout son possible pour qu'un projet de film arrive à son terme. Mais il y a des extrémités auxquelles il me semble que ce n'est pas souhaitable.
Pour Dune, Jodorowsky a voulu que son propre fils, Brontis Jodorowsky, joue le rôle principal. Le gamin a 12 ans. Il décide donc de l'entrainer à en faire un guerrier. Voilà donc le petit Brontis, qui a déjà dû être exposé à poil en plein cagnard pour El Topo, à devoir subir plusieurs heures d'entrainement physique par Jean-Pierre Vignau (spécialiste des arts martiaux et ancien mercenaire) par jour, 7 jours sur 7. Y'en a qui aurait contacté les services sociaux pour moins que ça...
Après, Jodo, tel Abraham, dit clairement qu'il était tout à fait prêt à sacrifier son fils s'il le fallait pour le film, qu'il était même prêt à se couper les bras. Bon rassurons-nous, le gamin s'en est très bien sorti, au point même où plusieurs fois dans le film, il nous semble qu'il est beaucoup plus responsable que son père.
Donc voilà encore un point qui fait que ce cher Jodorowsky, c'est un être que j'aurai moyennement aimer côtoyer...

3. Le guru
Si y'a un truc qu'on peut pas enlever à Jodorowsky, c'est un charisme et un pouvoir de persuasion assez dingue, mais que je trouve aussi assez flippant. Il a réussi à réunir autour de ce projet une équipe de malade, et en ce qui concerne l'aspect visuel, à obtenir des résultats absolument sublimes. Les storyboards et les dessins présentés sont beaux à crever, et lorsque le film se met à les animer, on a un rendu superbe. Mais bon sang, quand on voit que ce mec a réussi à convaincre O'Bannon de vendre tout ce qu'il avait pour venir à Paris travailler sur son film, et que lorsque personne n'accepte de financer le film, le pauvre O'Bannon se trouve sans un rond, dans un pays étranger, ça fend le coeur. Parce que réussir à convaincre des gens pour un projet, c'est cool, mais quand le projet ne se fait pas, faut pas oublier qu'ils ramassent aussi.



4. Le viol de Franck Herbert
Dans une métaphore au bon goût de vomi, Jodo n'hésite pas à comparer l'adaptation qu'il a fait du roman Dune à un viol (mais avec amour, hein? on n'est pas des bêtes!). Et pour le coup, je suis plutôt d'accord avec lui.
D'abord, et ça je ne sais pas si c'est dû au scénario de Dune ou à la focalisation qu'a choisi le documentaire, mais on ne parle ni des personnages féminins formidables du roman, Jessica, le Bene gesserit, ou Alia (qui est pour moi le personnage féminin de roman le fascinant qu'on ait jamais écrit). Et on ne parle pas non plus des Fremen, les hommes du désert qui initient Paul.
Mais surtout, surtout, Jodorowsky change la fin. Parfois changer la fin sur une adaptation, c'est pas grave. Mais parfois, quand tu trahis le propos de l'oeuvre de base et que tu la tord pour qu'elle corresponde à ton message, ça peut être gênant et ici, ça l'est pour moi.
C'est comme quand Disney adapte la Petite Sirène d'Andersen. Désolée pour le spoil, mais dans le conte, la petite sirène perd tout à la fin: l'amour, les jambes, la vie et elle est changée en écume. Moralité: ma chérie, ne quitte jamais tout pour un mec, tu pourrais t'en mordre les doigts (ouais, bon c'est pas vraiment ça, mais la vraie moralité est tellement triste). Chez Disney, le prince est en fait amoureux d'une méchante sorcière et pas d'une gentille autre fille, Ariel parvient à le récupérer, elle se rabiboche avec sa famille, et ils vécurent heureux, etc... C'est un peu comme si Roméo et Juliette fondaient une famille hein? L'histoire perd un peu en tragique...
Ben là on n'en est pas loin. Le roman comme le film semblent se terminer par la victoire de Paul. Sauf que dans le film, Paul se sacrifie (ça arrive après dans le cycle) et la planète Dune devient une terre de verdure formidable (ça aussi, ça arrive plus tard). Bref, un Christ est crucifié, c'est la paix dans le monde, tout va bien. Sauf que le cycle de Dune ne raconte pas tout à fait ça. Ca reste tout de même une série qui si elle a une dimension ésotérique assez importante, reste assez focalisée sur le pouvoir, la difficulté de l'exercer sans exaction, de garantir la paix et la liberté, et combien tout cela est fragile (parce que l'héritier de Paul, Leto, c'est quand même le pire dictateur qu'on puisse imaginer). Bref, pour moi ça véhicule donc un message très différent, beaucoup plus naïf que celui des romans et en allant plus loin, puisque Jodorowsky n'hésite pas à afficher ses visées philosophiques, une idéologie différente. C'est tout à fait personnel, mais l'idée même du Messie, d'une seule personne qui change complètement le monde en s'instillant dans l'esprit de l'humanité entière, je trouve ça très flippant...

5. L'incorruptible, victime du méchant mercantilisme d'Hollywood
Je comprend qu'on puisse admirer la ténacité et l'intransigeance de Jodorowsky qui ne veut pas changer d'un iota sa vision du film. Sauf qu'à écouter et lire beaucoup de choses sur le sujet, on a l'impression qu'il s'est heurté à une haine viscérale des producteurs hollywoodiens contre le réalisateur, que ces méchants vilains opportunistes qui veulent faire de l'art une industrie ont tout fait pour faire péter le projet.
Mais le film explique très bien que ce n'est pas tout à fait ça: Jodo demande 5 millions de dollars sur un budget de 15 millions de dollars (ce que je trouve quand même sous-évalué vu l'ambition technique du film) pour un film de, tenez-vous bien, pas moins de 12 heures. Pourtant, Seydoux le dit lui-même, pour eux, "Tout était génial, sauf le réalisateur". Suis-je la seule à penser qu'il est assez raisonnable qu'un studio accepte de donner de l'argent à un film en contrepartie d'un projet qui soit effectivement financièrement réalisable et exploitable en salle? Que demander qu'on revoit la durée du film à la baisse, histoire que les spectateurs puissent aussi subvenir à leurs besoins bien naturels soit plutôt justifiée? Que s'inquiéter du fait qu'il y ait peu de spectateurs qui souhaitent bien se soumettre à un film d'une telle longueur et de se dire qu'il va être difficile de travailler avec un réalisateur qui ne lâche rien, même pas une négociation sur cette même longueur soit tout à fait compréhensible?
L'ambition, à un moment, c'est bien, mais pour moi, on bien au-delà dans ce cas-là, on est dans la mégalomanie. On aura beau dire que les studios c'est des pas beaux qui possèdent cet argent qui gâche tout en sortant de ses poches des liasses de billets de 200.00 € et en disant que c'est de la merde (ce qui ne peut choquer que nous, les pauvres, les cons, les impies, pour qui l'argent a une valeur), j'ai pourtant bien l'impression que si Jodorowsky avait accepté des concessions à mon avis tout à fait réalisables et compréhensibles sans s'entêter dans un projet titanesque (et ici, je parle plus du bateau avec Leo dedans que des personnages mythologiques), on aurait peut être eu droit à un très chouette film. Et j'avoue que là, moi, je me suis sentie limite colère: t'as une équipe de gens plus talentueux les uns que les autres prêts à donner le meilleur d'eux-mêmes pour un projet auquel ils croient, tu as la possibilité de faire quelque chose de formidable au prix de quelques concessions et tu dis non? SERIEUX? Je trouve ça d'une incroyable tristesse.
D'abord parce que les concessions, tous les réalisateurs en ont fait, et c'est dans les contournements que le cinéma est le plus intéressant. Hitchcock voulait parler de cul. Le code Haynes lui interdisait de le faire frontalement. A-t-il fait un caprice en disant, "ben puisque c'est comme ça, je ne fais pas de film?" Non, il a juste créé les scènes les plus suggestives de l'univers en contournant le code.
Et puis pour moi, le cinéma, c'est un art, oui, mais un art collectif. Et qu'un film, ce n'est jamais le film d'un seul homme. C'est toujours le film d'une équipe. et je trouve que cette intransigeance de la part du réalisateur, c'est un coup portée à toute son équipe, qui a travaillé si dur et s'est parfois sacrifiée. Si on veut faire un art uniquement personnel, on se tourne vers la littérature, la peinture ou même la vidéo! Encore une fois, le sort réservé à O'Bannon me donne envie de pleurer.
Et quand Jodorowsky accuse presque son équipe de trahison pour avoir travaillé ensemble sur Alien par la suite, c'est quand même assez écœurant.



Bref, vous l'aurez compris, Jodorowski n'est franchement pas une personnalité avec qui j'aimerais passer une soirée. Mais bon sang, c'est sans conteste un formidable personnage de cinéma! Et la manière dont le documentaire l'approche, laissant tout autant le soin à ses amateurs qu'à ses pourfendeurs d'y voir matière à rêver ou à s'énerver est particulièrement réjouissante. Sans compter, je n'en ai pas parlé jusqu'à présent, mais c'est loin d'être anecdotique, que la bande originale de Kurt Stenzel est une pure merveille, qui vaudrait à elle seule le coup de voir le film. Que vous aimiez ou pas Jodo, vous avez sûrement quelque chose d'intéressant à pêcher dans Jodorowsky's Dune.









mardi 15 mars 2016

Plus on est de fous, plus on hallucine!

Comme tous les ans, il faut que je vous parle de mon obsession de Pâques. Parce que oui, tous les ans, à Pâques, c'est le retour des œufs, des cloches, des lapins, des poupoules, du chocolat, mais c'est surtout le retour de mon festival de films lyonnais préféré, celui qui fait mon bonheur chaque année avec la sélection la plus étrange et barrée de France: Les Hallucinations collectives.

Et cette année, en plus c'est un peu l'année très appréciée par Girlie Cinéphilie, puisque les femmes sont à l'honneur dans la programmation. D'abord avec une invitée très spéciale, Lucile Hadzihalilovic, réalisatrice du beau Innocence (qui fait partie du programme), et du récent Evolution. Le festival lui a donné carte blanche pour choisir 3 films, et ses choix sont bien intrigants...

Au programme, également 2 rétrospectives avec des personnages féminins bien mis en évidence. D'un côté, la rétrospective Les Singulières, qui répertorie 4 films aux protagonistes féminines  Bechdel test-proof, dont le sublime Créatures célestes de Peter Jackson ou le mystérieux Black Moon de Louis Malle. De l'autre côté du spectre, une rétrospective d'un réalisateur obsédé par les femmes , Jess Franco. Là, j'avoue que c'est moins ma tasse de thé, mais je doute que vous aurez souvent l'occasion de voir une telle retrospective....

Ajoutez à cela une belle soirée Animokatak avec les films Razorback et Phase 4, plein de films en compet qu'on a vraiment envie de découvrir, un concert, des surprises, je peux vous dire que j'ai vraiment hâte d'y être.

Et cette année, j'ai prévu à nouveau de passer pas mal de temps au festival: j'ai posé des jours, j'ai pris mes places et je suis parée pour plein de films complètement hallucinants. Et je vous livre une petite sélection de 5 films que je trépigne de voir:

1. Men and chicken, Anders Thomas Jensen
Réalisateur du drôlement grinçant Adam's Apple (que j'ai vachement envie de revoir, du coup), il nous sert un film sur une histoire de famille bien barrée qui a l'air ici foutraquement réjouissant avec Mads Mikkelsen. La bande-annonce parle d'elle-même.

 
 
2. High Rise, de Ben Wheatley
Réalisateur de Kill List et Touristes, Ben Wheatley est aussi connu pour la réalisation de certains épisodes de Dr Who.
Ici, il adapte du Ballard (projet toujours très ambitieux) avec un casting au sommet: Tom Hiddleston, Jeremy Irons, Sienna Miller.
La bande-annonce donne le vertige!


3. Alone, Thierry Poiraud
Je vous avais déjà dit combien j'avais aimé Goal of the Dead, réalisé en partie par Thierry Poiraud, découvert déjà grâce aux Hallus. J'y serai donc allée les yeux fermés. Mais bon, j'ai quand même lu le synopsis, et cette histoire de jeunes délinquants qui voient les adultes être touchés par un virus me botte sacrément (je vous ai dit que j'adorais les Misfits?)


4. Le complexe de Frankenstein, Gilles Penso, Alexandre Poncet
J'adore les monstres et je crois vous l'avoir déjà dit, je suis très amatrice d'animatronic et de maquillage SF (sans rire, j'ai été touchée du syndrome de Stendhal la première fois où j'ai vu une gorgone originale de Ray Harryhausen). Du coup, j'ai très envie de voir cet hommage à ces magiciens du cinéma.

 
 
5. Scare campaign, Colin et Cameron Cairnes
Parce que j'en ai ras-la-casquette du found footage, et qu'une parodie du genre est sacrément bienvenue
 
Une nouvelle fois, je ne peux donc que vous encourager à m'accompagner à cet amour de festival bizarroïde si vous avez la possibilité d'être dans la région lyonnaise à ce moment-là. Sinon, je vous en donnerai quand même des nouvelles dans les posts à venir...
 

 







mercredi 9 mars 2016

Zoolander 2: I wanna be a male model

Bon, en vrai, je veux pas vraiment être un male model, mais cette chanson diablement trémoussante des Undertones me semblait le titre parfait pour le film dont nous allons parler aujourd'hui.


Je ne sais pas si vous le savez, mais depuis de nombreux mois, j'attendais mon messie à moi, le retour du grand, du ridiculement beau, du merveilleusement stupide, du formidablement hilarant king of the male models, Derek Zoolander himself!



Pour ceux qui ne connaissent pas, Derek Zoolander est le héros du film éponyme de et avec Ben Stiller, sorti en 2011. C'est un mannequin homme vedette, bien idiot, qui commence à voir basculer son apogée à cause d'un nouveau venu, Hansel Mac Donald (Owen Wilson). Mais tout va changer quand il va être recruté pour la nouvelle collection du machiavélique créateur Mugatu, qui compte bien utiliser son quotient intellectuel inhabituellement bas pour lui laver le cerveau et l'obliger à tuer le premier ministre de Malaisie qui menace toute la filière en voulant interdire le travail des enfants.

Pour moi, ce film est la plus comédie la plus drôle que j'ai jamais vue. J'ai bien dû la voir plus d'une dizaine de fois, je continue à mourir de rire devant Mugatu courant en pantalons pattes d'ef, l'école pour les fourmis, le travail à la mine, le walk off, l'utilisation de l'iMac et surtout la plus chouette scène de station-service jamais écrite. Et apparemment, je ne suis pas la seule, puisqu'il semble que Zoolander 2, qui est sorti la semaine dernière, ait bien été fait expressément pour ses fans (mais ça, on parle juste après).



Avec mon posse de potes fans de Zoolander (big up les copaings!) et de tout ce qui touche de près ou de loin à Will Ferrell, on s'est donc réuni pour nos grandes retrouvailles avec nos héros préférés (même si, on va pas se mentir, c'est quand même Mugatu qu'on attendait le plus). Et le résultat a été .... mouais.



En fait, Zoolander 2, c'est un peu comme revoir un pote du lycée avec lequel tu rigolais bien. Y'a la première phase, un peu awkward, où on remet les pendules à l'heure, la phase "ben qu'est-ce que tu deviens?" Bon, ben voilà, tout n'est pas rose pour les personnages de Zoolander dans Zoolander 2: Derek Zoolander a perdu sa femme lorsque son "école pour les enfants qui ne peuvent pas lire trop bien, mais qui veulent aussi faire d'autres trucs bien" s'est effondrée. Du coup, on lui a retiré son fils parce qu'il n'était même pas capable de rendre les pâtes molles. Alors, il s'est retiré dans la cabane des 8 salopards pour devenir bernard-l'hermite. Hansel, qui s'est installé dans le désert avec les membres permanents de son orgie, commence à lui aussi rencontrer des problèmes de paternité. Quant à Mugatu, il est enfermé dans une prison haute surveillance qui empêche toute créativité (or does it?).

Puis arrive la phase 2, où on se remémore tous les bons moments qu'on a passé ensemble, et on rigole bien en y repensant. Et c'est là que le film est le plus drôle. On reprend pratiquement tous les gags et les catch-phrase du 1er film: on retrouve le "who am I?", la scène où Derek et Hansel s'engueulent puis se congratulent, le magnum, Mugatu et son latte, Mugatu qui court (perso, je pourrais regarder ça des heures entières), les has-been qui reviennent sur le devant de la scène, le modèle délaissé (le mannequin de détail est remplacé par un mannequin maillot), la cravate-synthé (sisi, ouvrez l'œil)... Bref, tout ce qui a fait le succès du premier. D'un côté c'est chouette, parce que c'est tout ce qu'on a envie de retrouver dans ces moments-là, et ça donne l'impression qu'on a vraiment voulu contenter les fans. Mais le problème, comme quand ton chéri qui n'était pas au lycée avec toi vous regarde déblatérer avec ton vieux pote, c'est qu'il s'emmerde un peu, s'il a pas les bonnes références. Ben là c'est pareil, tu te dis qu'un novice, il doit pas paner grand-chose à tous les gags et il doit parfois s'ennuyer ferme là où toi t'es mort de rire.



On atteint la phase 3, où on se remémore tous les copains de l'époque, et on balance du name-dropping à tout-va. "Eh, t'as des nouvelles de Machin? Et j'ai croisé Truc, l'autre jour..." Et ben là, c'est un peu pareil, c'est le festival du caméo. Ca l'était déjà dans le premier, mais là, on a l'impression que les célébrités se sont battues dans la boue pour avoir droit à leur apparition dans Zoolander 2. Y'en a des biens (Susan Sarandon, Kieffer Sutherland, Sting), et y'en a des qui servent strictement à rien (Katy Perry, DJ Skrillex), mais on a parfois l'impression qu'ils s'amusent plus que nous, et c'est un peu frustrant.

Phase 4, c'est la phase "on en a pris un sacré coup". Et oui, on a beau se remémorer le bon temps, le monde a changé depuis, et ça nous rend pas plus beau. Et oui, les nouvelles technologies se sont invitées chez Zoolander, qui en profite pour jouer sur l'écart de génération entre les films avec des gags sur les selfies, les perches à selfies, les gros téléphones remplacés par les micro-téléphones, remplacés par les tablettes, les hipsters à tendance régressive (so 2015!). Mais en revanche, ils auraient bien fait d'investir dans des stagiaires 2.0 pour certains plans, parce qu'on a droit à des trucs foutrement moches: entre la vilaine tour en 3D et les incrusts dégueulasses, c'est parfois un attentat oculaire. Je sais que c'est une comédie et pas le dernier Star Wars, mais ça n'excuse pas tout!



Et puis enfin, on se retrouve avec la phase "voili-voilou", celle où on se rend compte qu'on a finalement grand-chose à se dire... Et là, y'a un peu de ça, parce que le scénario, assez resserré dans le premier, s'éparpille et se perd franchement dans une intrigue à la Da Vinci code, qui se veut farfelue, mais se révèle assez peu convaincante.

Et finalement, on rentre chez soi, et même si on est un peu déçu parce que bon, c'est quand plus ce que c'était, on a passé un très bon moment quand même, que ça fait du bien de rire du bon vieux temps, et on sait qu'à la prochaine réunion d'anciens élèves, on sera quand même là!






 

jeudi 3 mars 2016

Green Inferno: Cannibales low cost




Grâce au très chouette blog Baz'art, qui organise régulièrement des concours, j'ai été tirée au sort pour recevoir le blu-ray du film Green Inferno, d'Eli Roth, un film qui s'inspire largement de nombreux films italiens très versés sur le cannibalisme, le gore et les filles en petite tenue. (Merci Filou!)

J'étais très contente de le recevoir, et ce pour plusieurs raisons. D'abord, j'en avais plutôt lu et entendu du bien, et comme je ne suis jamais contre un peu d'hémoglobine à l'écran, j'avais envie de vérifier la goritude du projet. Mais surtout, le sujet me séduisait beaucoup: balancer une bande d'étudiants pétés de thunes, activistes et moralisateurs au fin fond de l'Amazonie et les livrer à une tribu cannibale, ça relevait presque du fantasme pour moi en ce moment. Parce que si toi aussi, t'en as marre des donneurs de leçons "hollier than you" qui te pourrissent la vie en voulant te culpabiliser à mort sur ton implication dans le bien-être des autres et de la planète qui ne sera jamais, mais alors pas même d'un chouya, égalable à leur action sainte et bienfaisante, avoue-le, les imaginer rissoler au fin fond "du magnifique poumon de la terre" qu'ils ont en poster par Yann Artus Bertrand dans leur chambre, ça te procure un plaisir incommensurable quand ils sont en train d'énumérer toutes les raisons de te comparer à Hitler pour avoir ramené un kebab-coca-frites dans un sac plastique....

 

Bref, tout ça me donnait pas mal envie de voir ce film, je n'avais qu'une appréhension, mais pas des moindre: Eli Roth. De lui, je n'avais vu qu'Hostel, mais j'avais trouvé ce film assez minablement raccoleur, autant dans le sujet que dans le traitement sang pour sang-gore pour gore, qui ne savait pas trop se positionner entre horreur, comédie noire, Grand-Guignol, et qui pour moi manquait salement de point de vue. Mais bon, je me disais qu'il méritait quand même une autre chance, et que ce n'était pas très fair-play de le juger sur un seul film.

J'ai donc vu ce film hier, avec mes apriori et mes envies, et dans l'ensemble, sur les deux, je ne me suis pas trop trompée.

En effet, s'il y a une chose que j'ai apprécié, c'est bien l'aspect "comédie noire" du scénario, l'ironie de l'histoire elle-même. Faire plonger de jeunes activistes imbus d'eux-mêmes au possible, venus assurer la défense de la forêt amazonienne et des tribus qui y vivent comme de preux chevaliers des temps modernes dans l'enfer de ce qu'il sont justement venus protéger est une assez bonne idée, d'autant plus que les personnages sont sacrément gratinés. Ces chevaliers blancs bien bourgeois qui décident de partir sauver la forêt amazonienne avec leurs téléphones portables et leur néocolonialisme rance (les jugements sur la population locale vont bon train), sans s'inquiéter de la manière dont cette opération est financée, on a quand même bien envie de les voir souffrir... Et la manière dont les bons sentiments de ces moralisateurs vont vite tourner au vinaigre dès l'arrivée de problèmes est assez rafraichissante. Pour moi, c'est le gros point positive de ce film: une satire grand-guignolesque du charity business, n'hésitant pas à mettre un gros coup de pied dans la fourmilière du moralisme.



Ceci étant dit, le scénario n'est pas, mais alors vraiment pas d'une originalité folle. D'abord à cause des personnages, qui ne sont qu'une galerie de clichés. A commencer par l'insupportable héroïne qui est la parfaite oie blanche-fille à papa-tête à claque, qui fait quand même tout pour qu'on ait envie qu'elle ramasse grave 1. Elle a un poster de 37.2 le matin 2. Sa motivation pour entrer dans l'activisme, c'est les beaux yeux d'un bellâtre idiot 3. La seule manière dont elle puisse supporter son père qui décidément s'inquiète beaucoup trop pour elle (rendez-vous compte, il lui demande où et avec qui elle part à l'étranger), c'est si sa bff l'accompagne. Bref, on est presque déçue qu'elle ne souffre pas plus. Les autres personnages sont encore plus caricaturaux: le beau gosse soit-disant charismatique qui se la joue Che Guevara en Ralph Lauren et qui, on s'en doute dès le premier plan où il apparaît, se révèlera être une pourriture, sa copine jalouse, blonde et prête à tout, la lesbienne tatouée et courageuse, la jolie blonde un peu niaise, le rigolo roux de service qui défend les plantes, surtout quand elles se fument, le mec gentil, noir et rondouillard, ce qui en fait la parfaite première victime, le geek intello qui parvient à garder son sang-froid et ses neurones en toutes situations...

Mais dans leur malheur, ces super clichés ont beaucoup de chance: ils sont tombés sur la tribu la plus teubé de la terre. Je ne parlerai pas de la chamane, qui a autant l'air d'appartenir à une tribu d'indiens que Balladur aux usagers du métro, qui a vu dans le script la possibilité d'enfin exploiter ses talents de tragédienne et qui en fait des caisses. Mais vraiment, comme tribu de sanguinaires cannibales, on est vraiment face à des manches:
1. Ils ont le choix entre bouffer des filles gringalettes, un petit mec tout freluquet et un mec bien baraque pour casser la graine. Ils choisissent...ben pas le mec baraque, donc plein de muscles, donc plein de viande. Franchement, t'as la dalle: tu as devant toi deux tic-tacs, une demi-pomme et une tartiflette et tu choisis pas la tartiflette??? Oui mais bon, tu comprends, le mec à biscottos, on en avait besoin pour l'histoire, alors...
2. Un petit sachet de beuh fait tripper une tribu entière, à tel point qu'ils en deviennent hilares et aveugles (oui, la drogue c'est pas bien, ça rend aveugle) et sont incapables de voir la bouffe se carapater.
3. Attention, moment poésie: ces cannibales n'ont aucun respect de leur produit. Ils démembrent avant de couper la tête, il ne vident pas l'abdomen, ils brisent les os, franchement, y'en a pas un qui peut passer son CAP boucherie! D'autant qu'ils font manger du gras à leurs futures victimes au lieu de leur donner du maïs qu'ils ont à foison, ils ont carrément perdu leur label bio!
4. Ce sont les pires geôliers de la planète puisqu'on peut quand même comptabiliser 4 évasions sur 6 captifs, avec une surveillance constante sur une cage en plein air de pratiquement toute une tribu! Heureusement que leurs dons en sarbacane surpassent leur intelligence, parce la tribu serait morte de faim depuis longtemps, et aurait pas attendu que des bulldozers viennent menacer leur habitat!



Et puis, en dehors de ce scénario écrit en dépit du bon sang (et encore, je vous épargne la fin), il y a un sacré paquet de trucs qui servent à rien dans ce film. En vrac:
- La saturation du vert: sérieusement, on est dans la forêt amazonienne. C'est déjà un peu le max. Pas besoin d'en rajouter avec une couleur qui vire au fluo, et des tenues de chantier jaunes, fluos elles aussi.
- Le pipi caca prout: autant dans une comédie, ça peut me faire marrer. Mais quand tu vois que les personnages sont plus dégoûtés par une personne qui doit se soulager dans une cage que par leur copain qui cuit à côté, tu te demande si l'auteur du scénar n'a pas 14 ans.
- On se pose la même question dès que l'on touche au sexe.
- Et puis surtout, ça se veut provoquant, mais ça cherche surtout à plaire aux ados mal vieillis. Alors, oui, ça se réclame du film italien d'exploitation cannibale, ça va même jusqu'à nous faire un petit cours sur le sujet en fin de générique, mais on en reste quand même loin, notamment à cause du traitement très adolescent du film. C'est dommage, sur un sujet aussi réjouissant, ça aurait mérité d'avoir carrément plus de mordant.