pelloche

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vendredi 24 octobre 2014

Bande puissante


Parce qu'une bonne claque, il vaut toujours mieux la prendre au cinéma, je me suis fait défoncé la tronche par le dernier film de Céline Sciamma, Bande de filles.

Alors, je vous préviens, je vais passer très vite sur le contenu sociologique du film, la banlieue, la violence, le patriarcat des grands frères, comment s'en sortir autrement, tout le côté zone interdite, réalisme social, etc d'abord parce que pour moi, ça n'a finalement pas eu beaucoup d'intérêt, je vous laisserai donc voir sur d'autres blogs sur le phénomène des bandes de nénettes, la rudesse de la banlieue, la légitimité de Céline Sciamma à faire ce film...



J'explique très rapidement pourquoi. La raison principale qui a fait que j'ai adoré ce film, c'est parce que, depuis un certain temps, je n'avais pas vu un film sur la banlieue en me disant: "Ca, c'est du cinéma". Peut-être depuis La Haine, en fait. Alors on peut se prendre le chou, comme ça a été le cas pour Kassovitz, à se demander en quoi une p'tite bourg de la Femis peut s'octroyer le droit de parler d'un monde qu'elle ne connait pas si bien, à s'interroger sur la représentation négative de la banlieue, à mettre vouloir à tout prix mettre le doigt sur un manque de réalisme (sans voir qu'on est dans une œuvre de fiction), et passer à côté du principal: des personnages, une histoire qui tient la route et une putain de réalisation. Parce que sérieusement, qui s'est un jour demandé si Faye Dunaway n'était pas trop belle et bien habillée pour être Bonnie? Si Trainspotting donnait une mauvaise image des Ecossais? Comment faisaient Thelma et Louise pour s'arrêter si peu dans des stations services? Vous êtes d'accord? On s'en fout. Mais comme le cinéma français a cette image de docu-fiction qui lui colle à la peau, on préfère un pensum réaliste filmé avec les pieds qu'un film qui ose la fiction et le cinéma. Voilà pour le petit coup de gueule pour les "jamais contents".

Parce que des raisons d'être contents, y'en a plein et des qui, pour moi, sont quand même primordiales dans un film:
- Une histoire tenue, avec un début, une transformation, des étapes, une conclusion (ça à l'air de rien comme ça, mais c'est moins fréquent qu'il n'y paraît en fait).
- Des personnages écrits, fouillés, complexes, servis par des acteurs (ici, surtout des actrices) assez incroyables.
- Une esthétique, des plans, un montage audacieux. Une vraie réalisation, quoi!

Et puis plein d'émotions, DONT l'humour, et pas de leçon (et vous avez vu, l'air de rien, j'ai construit un plan, dites donc!)

L'histoire

C'est celle de Merieme, une ado un peu coincée en banlieue. Ses résultats scolaires ne vont visiblement pas lui permettre d'en sortir, ni sa mère qui trime pas mal et est souvent absente, ni le grand frère qui a sa vision toute particulière de la protection, ni les petites sœurs dont il faut s'occuper, ni le regard des types du quartier. Alors, le jour où une bande de 3 autres filles lui propose une issue, et une nouvelle forme de liberté, elle fonce, même si ça veut dire exercer sur les autres la violence qu'elle a elle-même subie.



Le parcours de Merieme est très bien écrit. On part d'une toute jeune fille, fragile, renfermée, qui regarde sans cesse autour d'elle d'où des coups pourraient pleuvoir. Et on va la voir se transformer radicalement en entrant dans cette fameuse bande. Cette transformation, resserrée dans un seul plan (près de l'évier pour ceux qui l'on vu), est digne d'un film de super héros. Là se situe le basculement complet du personnage qui va aller vers une apogée à peu près au milieu du film (où elle a droit à une manette pour jouer à FIFA) pour s'effondrer tout de suite après. Puis on va assister à sa longue lutte pour découvrir ce qu'elle peut vraiment faire, où est sa voie. Ca vous rappelle rien? Et ben si, parce que cette histoire, vous l'avez vu 15000 fois au cinéma et c'est pas pour rien, parce que cette histoire, c'est un mythe. Parce que le cinéma a pratiquement été créé pour raconter cette histoire: c'est Rocky, c'est Pinocchio, c'est n'importe quel récit initiatique.

Et c'est très bien comme ça. Parce que pour que Merieme devienne véritablement la femme Merieme, il faut qu'elle passe de l'enfant de sa famille, à la Vic de Lady, puis au "bonhomme" de son boss, puis à  la femme de son homme. Parce qu'apprendre à trouver sa "voix", c'est d'abord écouter celle des autres, et parfois apprendre de la manière la plus dure que les autres aussi se trompent. Et c'est ça qui fait grandir. Parce que parfois, on n'apprend à savoir ce qu'on veut qu'en éliminant ce qu'on ne veut pas.


Les personnages


Ici, Céline Sciamma a une grande force: si elle ne juge pas ses personnages, elle ne leur cherche pas non plus des excuses. Autant, Merieme et ses copines sont touchantes dans leurs rapports entre elles, autant les voir s'attaquer à d'autres gamines qui ressemblent beaucoup à la Merieme du début ne met pas du tout à l'aise. Et il y a notamment une scène glaçante où cette dernière, intégrée à un groupe de mecs, participe à un harcèlement sexuel en règle sur une autre nénette, où on a carrément envie de la baffer.

Du coup, on se retrouve avec des personnages complexes, qui se définissent plus par leur volonté d'atteindre un but que par des traits de caractère précis. Tous dévoilent plusieurs facettes, adoptent des visages différents en famille, au travail, dans la rue, avec les potes. Quand rien n'est simple, on doit s'adapter.

Et les actrices relèvent le défi haut la main. Ce sont des non professionnelles, mais elles bouffent l'écran. On croit à tout ce qu'elles disent, à tout ce qu'elles font, à leurs rires, à leurs prises de tête, à leur colère, à leurs larmes. Elles se jettent complètement dans le récit, dans leurs personnages, Karidja Touré en tête, qui assume toutes les transformations de Merieme avec un aplomb incroyable.


La réalisation


Moi j'avoue que c'est là que j'ai pris une claque, mais alors, magistrale! Je suis prête à entendre tous les arguments que vous voudrez contre Céline Sciamma mais le premier qui me dit qu'elle ne sait pas se servir d'une caméra, je le provoque en duel!

Dès la première scène, j'ai été soufflée et au bord des larmes. Pourtant, à la base, le football américain, c'est pas vraiment ma came (je comprend même pas les règles). Mais là, on assiste à un véritable ballet, à des regards qui en disent déjà long sur la détermination des gamines, un éclairage irréel dans un stade vide. Et dans cette seule scène, toute la puissance du film est déjà là: la lourdeur de la carapace des joueuses, et la violence des affrontements, mais aussi la grâce du geste et la beauté du partage collectif.

Dans la scène suivante,on suit le groupe de jeunes filles, se faisant mutiques à l'entrée de la citée. Le groupe se disloque à la croisée des tours, dans la pénombre où guette des silhouettes masculines. cette scène pose abruptement le décor. Et là, deuxième claque dans ta face.

Et ça continue comme ça tout au long du film, des trouvailles, une audace frondeuse (des panneaux noirs assez longs qui créent de vraies ellipses, par exemple) et des scènes qui se surpassent en beauté et en lyrisme. Donc oui, évidemment, la scène sublime sur Rihanna, mais aussi la scène drôle et attendrissante du mini-golf, les scènes de baston, les scènes entre sœurs... Tout est d'une puissance émotionnelle à la fois formelle et narrative. On pardonne alors les quelques longueurs qui jalonnent le film ou la sur-utilisation de la musique et du ralenti. Parce que ça marche, et ce jusqu'au dernier plan, superbe: la caméra s'éloigne du visage de Merieme, mais Merieme, comme consciente de ce cadre qui lui échappe, y pénètre à nouveau, volontaire, son film à elle n'est pas fini.

Donc voilà, alors on pourra toujours dire que c'est trop stylisé, que c'est pas réaliste, que c'est fantasmé. Alors ok, ce n'est peut-être pas "vraiment"  la banlieue, mais s'il y un endroit où l'est sûr d'être, avec Céline Sciamma, c'est au cinéma!









mercredi 15 octobre 2014

Quand Carrère raconte Dick, Je suis vivant et vous êtes morts


En littérature, j'ai toujours (au moins) un train de retard. D'abord parce que j'achète beaucoup de poches (oui, les jolis livres brochés, c'est bien mais c'est pas donné, et ça prend plus de place dans la bibliothèque), et que j'ai toujours les yeux plus gros que... les yeux: pour un livre lu, j'en achète trois, sans compter ceux qu'on me prête, qu'on m'offre. Du coup, j'ai une liste d'attente qui ne fait que s'allonger, et c'est encore pire depuis que j'ai investi dans la liseuse numérique il y a un an...

C'est pourquoi, alors que sort le dernier roman d'Emmanuel Carrère, Le Royaume (dont j'entends, çà et là, beaucoup de bien), je viens, moi, de terminer sa biographie de Philip K. Dick, Je suis vivant et vous êtes morts.


Pourquoi ce bouquin là? Ben d'abord, parce que je ne savais pas encore qu'il existait et quand j'ai découvert chez ma libraire un petit livre de la collection point 2, avec un portrait technicolor de Philip K. Dick dessus. Cette collection point 2, je ne sais pas si vous êtes déjà tombés dessus, mais c'est un rêve de collection. De tout petits livres, de 12 par 8 cm, en lecture paysage, avec du papier tout fin, on pourrait caser tout Proust dans une pochette de soirée (on sait jamais, des fois que la soirée soit moins fun que prévu). Mon regard a donc été attiré par le portrait de Philip K. Dick (qui, ne se contentant pas d'être un des plus grands écrivains de Science Fiction, était aussi plutôt beau gosse). Et me rapprochant de ce mignon petit livre tout coloré, j'ai lu le nom d'Emmanuel Carrère. Alors là, coup de foudre! Un de mes écrivains préférés écrit sur un autre de mes écrivains préférés, et tout ça dans un adorable objet livresque qui peut s'associer à tous mes sacs, mêmes les plus riquiquis? Un objet qui parle à mon amour de la littérature, ma passion de la science fiction, mon sens esthétique et mon esprit pratique? Comment ne pas succomber?

J'ai donc lu cette biographie tout doucement, en grignotant un peu chaque jour, essayant de repousser la fin autant que possible. Mais la fin est arrivée (d'autant moins drôle que c'est la même que dans la plupart des bio: le personnage principal meurt), alors pour ne pas m'en débarrasser trop vite, je vous en parle.

Philip K Dick et un mouton pas trop électrique
Alors voilà, Emmanuel Carrère s'attache ici à raconter la vie de Philip K. Dick, l'auteur de science fiction le plus ratissé par le cinéma, parfois pour le pire (Paycheck, qui vient d'une très courte nouvelle, non mais vraiment, rien que d'y penser, j'en grince des dents), parfois pour le "mouais, bof, je retourne lire le bouquin (A scanner darkly, Total Recall, Minority Report) mais aussi pour le meilleur (Blade runner, bien évidemment!). Philip K. Dick, c'est une Science-fiction à la fois humaniste et conspirationniste, c'est une vertigineuse succession d'univers mis en abîme. Philip K. Dick, c'est une œuvre qui se résume en une question, qui ouvre toute les autres: Qu'est-ce que la Réalité? Philip K. Dick, c'est cet homme qui essaie, en rentrant chez lui, de tirer machinalement le cordon d'une lampe pour réaliser qu'il y a en fait un interrupteur, qu'il y a toujours eu un interrupteur, et qui pourtant reste persuadé qu'il devrait normalement y avoir un cordon. C'est le quotidien qui bascule dans le fantastique par de simples incohérences, le réel qui se renverse comme dans le miroir d'Alice, réduit à la banalité d'un rétroviseur.


Emmanuel Carrère nous narre ici les différentes étapes de sa vie, depuis son enfance marquée par la mort de sa sœur jumelle quelques jours après leur naissance et le départ paternel, et son adolescence passée à ingurgiter tout ce qu'une mère hypocondriaque peut vous donner, et à s'amuser à faire tourner en bourrique les différents psys auxquels elle vous jette en pâture, faisant passer, selon son gré, leur diagnostic de "normalement normal, normalement anomal, anormalement anormal, à anormalement normal (son triomphe)". Il nous raconte sa passion pour les livres et la musique, les femmes qui se succèdent, les enfants, ses différentes vies, ses différents rôles. Il soulève des anecdotes truculentes (Dick qui s'amuse à manipuler un type du FBI qui enquête sur ses rapports avec le communisme en lui faisant croire que Nixon y est visiblement trop opposé pour ne pas être secrètement rouge), et n'hésite pas à nous dépeindre ses moments les plus difficiles (ses différentes tentatives de suicide, ses crises psychiques aussi nombreuses que variées). Je retiendrai notamment la description de la fameuse conférence de Metz qui a surpris, voire déçu les participants, qui est racontée ici de l'intérieur, et qui en devient bouleversante.

Mais surtout (c'est là que Carrère excelle), il nous fait entrer dans la tronche de Dick, et là croyez-moi ou pas, mais c'est encore plus barré, encore plus flippant que n'importe lequel de ses romans. Parce que le piège de la réalité qui se dérobe tout à coup comme dans Ubik, Dick y est tombé dedans quand il était petit, et ce n'est pas un double à jamais présent (Jane, le fantôme de sa sœur Jumelle, ou Thomas, le chrétien supplicié, ou Horsefat Lover, son pseudo) qui l'ont aidé à s'en sortir. Tour à tour, il a été mystique new age basant les décisions de sa vie sur le yi-king, théoricien du complot anti-Nixonnien persécuté par l'état car ses romans dévoilaient la réalité abominable cachée sous les dehors clinquants des 30 Glorieuses (et non, Matrix n'a rien inventé), exégète chrétien doublé d'un cynique. On le suit de délire paranoïaque en dédoublement de personnalité, et les bases de notre réalité ne nous semblent plus si solides. On pénètre avec lui dans l'antre de Palmer Eldritch, le Dieu venu de Centaure, qui crée un monde cauchemardesque et qui joue sadiquement avec ceux qu'il y a embarqués par une drogue hallucinogène. Bien que l'on soit parfois énervé par les geignardises de Dick, on n'en reste pas moins toujours en empathie (enfin, si l'on est humain ;-) ) avec lui, et Emmanuel Carrère nous fait ressentir sa profonde détresse avec beaucoup de talent.

D'ailleurs, on comprend vite pourquoi Carrère a décidé d'écrire la biographie de cet écrivain en particulier. En effet, ils ont beaucoup de points communs. Il y a chez les deux auteurs cette façon de déconstruire un monde par un objet tout à fait banal. En effet, comment ne pas voir, dans le formidable roman La Moustache, où un homme voit sa vie basculer le jour où il se rase la moustache et que personne ne s'en rend compte, un hommage à la littérature dickienne? On retrouve aussi chez lui le mysticisme chrétien soudain qu'il a connu et qui l'a poussé à écrire Le Royaume, sorti il y a quelques semaines. Enfin, ce sont tous les deux, il faut bien le dire, des auteurs à l'œuvre démente, très cinématographique (Carrère est tout de même, à la base, un critique de cinéma de Télérama et Positif), qui marquent fortement les souvenirs de leurs lecteurs.

Ici, la rencontre des deux est un plaisir de lecture immense, le style remarquable de Carrère, son humour, ainsi que sa connaissance et son analyse de l'œuvre Dickienne s'accordent à merveille avec le talent colossal, le génie et la folie de son personnage. Je ne pouvais rêver plus beau duo, et ce joli petit livre qui fait plus que tenir ses promesses me manque déjà, cet article terminé. Mais, ouf, une belle anthologie des nouvelles de Dick me fait de l'œil sur l'étagère et Le Royaume m'attend chez ma libraire...